vendredi 11 juillet 2008

Clamor


Clamor est le nom d’une sculpture réalisée par le duo d’artiste Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla en 2006. Présentée à la serpentine Gallery de Londres, à la Sucrière lors de la Biennale de Lyon 2007, elle fut commanditée et produite par le Moore Space de Miami. C’est une chambre sonore qui prend la forme extérieure d’un bunker assez difficile à décrire par son échelle qui ne permet jamais d’en avoir une vue globale unique. Cette construction constitué de demi-sphères dos à dos et percées (de façon assez anthropomorphique) de fenêtres : double pour l’une et à la façon d’un cyclope en 16/9 pour l’autre. Les matériaux sont la mousse, acier, fibre de verre et résine.

Cette sculpture a accueilli une performance où un big band de cuivres a joué des morceaux allant de marches militaires anciennes ou révolutionnaires (musique des troupes janissaires de l’empire Ottoman qui ont inspiré les marches turques de Mozart, hymnes des Viet Congs, chants de la révolution russe) jusqu’à certains tubes de pop utilisés comme moyens de torture - We’re not gonna take it du groupe de hair metal des années 80 (Twisted Sister) utilisé par l’armée US lors de l’invasion du Panama en 1989.


Si le propos des artistes semblent assez politique, je préfère l’envisager sous un angle purement sonore et comme une réflexion sculpturale sur l’écoute, plus précisément l’espace d’écoute, et sur la musique populaire actuelle en lien avec la musique militaire. Ca fait un petit moment que je me surprend à remarquer les liens entre les deux. J’écoute énormément de pop music, techno, electro, dance, chansons pops et rock, pour chanter, danser, se donner bonne humeur ou exprimer son désespoir. En comparaison avec les quelques rares fois où j’écoute de la musique savante, je me rends compte qu’au niveau du rythme et des structures la pop musique n’est qu’une amplification et re-contextualisation de musiques militaire. Je me rappelle avoir lu une citation de Olivier Messiaen qui regrettait que pour la majeure partie des gens la conception de ce qu’est un rythme ne dépasse pas la marche militaire. Pop et fanfare militaire (pensez au projet Acid brass de Jeremy Deller) procède d’une même efficacité, avec une construction temporelle rapidement incorporable (mémorable) et qui convainc le corps avant tout (ce fameux tapement du pied pour battre la mesure ou le hochement de tête comme signe minimal d’adhésion au son). Sans parler de la violence énergétique essentielle au plaisir de la pop envisagée comme décharge d’adrénaline.
De cela je ne tire aucun jugement, j’essaie juste de le penser de façon anthropologique, en amateur. Les deux procèdent d’un même désir de communauté instituée ou à venir, d’une même distinction entre le dedans et le dehors (j’en fais partie ou je suis contre) et d’une ritualisation d’un trop plein d’énergie à évacuer. L’individu est appelé à se placer, à se projeter dans un imaginaire commun et souvent un corps d’emblème (la star ou le chef comme performer live). C’est pourquoi cette sculpture comme espace clos mais entrouvert, violent mais séduisant fonctionnait pour moi surtout comme un haut parleur symbolisé : comme une BOUCHE mais aussi comme un visage ambigu. Il faut donc surtout VOIR cette oeuvre comme un casque audio qui a des fuites : comme un cerveau laissant déborder sa musique et ses pulsions intérieurs. Et toute pulsion passe par des orifices, qui fonctionnent dans les deux sens, entrant et sortant : bouche et oreille par effet de miroir, entre ce qui donne (la bouche du haut-parleur) et ce qui reçoit : notre visage-oreille-œil devant cette œuvre audio-visuelle.


Cette œuvre fonctionne aussi comme un vecteur d’énergie : ici sous la forme d’instruments en cuivre évoquant bien-sur des fusils et des armes à projectiles. La structure architecturale, avec une protubérance comme un tank, menace mais d’un autre coté, elle se fond dans des strates géologiques, dans un paysage et un contexte. Comme le fait exactement toute pop musique, toujours issue d’un territoire géographique et d’une population précise, toujours le fruit d’une stratification d’influences diverses soudains synthétisées et visibles au grand jour (cf. mon article sur le dubstep et Skream précédemment sur ce blog).



La sculpture émet donc du son, elle est performative en différé (on joue je suppose, la bande enregistrée de la performance originale ou une version studio clean qui dure 40 minutes). Par le son, elle déborde donc sa pure forme visuelle et architecturale, elle s’étend et se déverse dans l’auditoire. Elle fabrique des partisans ou du moins répand son message, surtout dans le corps des auditeurs car peut liront et seront renseigner sur son sens. Sa puissance sonore séduit même au-delà d’un visuel banal dans l’art contemporain (depuis les bunkers de Virilio, les sculptures land art de Michael Heizer). Militaire et pop se rejoignent dans leurs outils de persuasions : passer par le corps avant tout, c’est passer par le son, le rythme et le transfert d’énergie. Ensuite le reste n’est plus qu’un jeu de contexte et d’emprise et d’enkistement dans ce contexte. Là les artistes parlent donc aussi de comment fonctionne et s’inscrit une œuvre dans le contexte de l’art contemporain tout en mettant une distance avec : avec Clamor : on peut observer un phénomène en train de se produire, comme on observe quelqu’un dans le métro en boucle sur lui-même avec son casque audio : il fait entrer le son en lui en même temps qu’il est lui DANS le son et surtout DANS un imaginaire / une mythologie personnelle (que son look exprimera aussi). Comme une radio, une mémoire sonore mélangée et filtrée, distordue (ce ne sont pas les morceaux originaux qui sont diffusés et cela est très pertinent)

détail de the division bell de Pink floyd


scanner IRM au CHU de Poitiers



Un travail qui ne tombe pas dans le piège de la séduction facile et du spectacle pop (personne n’a relevé cette pièce dans les compte-rendus sur la Biennale de Lyon), l’inverse de ces artistes : Forsyth & Pollard qui reprennent les vidéo ou Bruce Nauman se colore la peau en filmant les musiciens de Kiss en train de se maquiller (Kiss my Nauman). Ici on néglige les conséquences formelles du travail, conséquences silencieuses dans un premier temps pour jouie des effets de sens, par le détournement d’une aura (celle de la pop) vers soi (l’art) et la rupture du lien entre visage (image vidéo) et la caisse de le volume intérieur (le crâne).




voir aussi un article paru dans Art Forum en mai 2007 qui analyse en détail le travail de ses deux artistes.


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