lundi 21 mai 2012

Abstraction concrète

Une série de trouvailles récentes de formats proches du tableau ou du relief mural, de matériaux divers en configuration abstraites qui dessinent après coup, une filiation et pérennité forte à la fois de Paul Klee et de Richard Tuttle.


Sheila Hicks, la lettre de rupture, 2004, (série des Minimes), papier et lin


Sheila Hicks, Ardoise, 2008 (série des Minimes), coton et ardoise


Brice Marden, number 10, 2011, huile sur marbre 60 x 40 cm  


Brice Marden, View, 2011, huile sur marbre, 80 x 44 cm 

Brice Marden, formal marble, 2011, 72 x 64 cm

Sheila Hicks, Déménageur, 2008 (série des Minimes) soie


Vincent Fecteau, sans titre, 2011
ciment, résine, béton, peinture, 40 x 61 x 60 cm 


Kenneth Price, Humpo, 1984, céramique


Jack Pierson, Red, Orange, Black, 2011 émail,  métal, plastique


Eli Hansen, a good chunk of it was pretty right on, 2011
bois verre métal 

Rosemarie Trockel, visage de guerre, 2004

David Hammons, sans titre, 1988,
journaux, capsule de bouteille, fil de fer, chaine. 76 x 50 cm 


Bill Jenkins, pass, 2012, coffrage de ventilation et pierres

Lucia Fontana, concetto spaziale, 1954
terracotta peinte, 32 x 25 cm 

Imi Knoebel, radio Beirut, 1982 

Reto Pulfer, Schr Klain, 2011.
Chemisier de soie, encre, chemise en coton et brancard de bois. 95 x 54 x 7 


Jean Fautrier, terre d'Espagne, 1956 


Bill Jenkins, 9 pieces on a bag not Touching, 2012
papier machésur plastique au sol


dimanche 20 mai 2012

La manifestation

une exposition personnelle de Maxime Thieffine
à la Galerie Stork à Rouen
du 25 mai au 30 juin 2012
vernissage le 25 mai 2012 à 18h
storkgalerie.blogspot.com




Pas de références de connivence, pas d’alibi socio-politique, ni de coup de force spectaculaire ou de concept malin. La manifestation est une exposition d’images à voir, d’images sous forme de fichiers numériques, manipulés et imprimées sur du papier de différentes qualités, selon diverses économies, à multiples échelles et installées dans l’espace.

J’ai imaginé une étymologie au terme de manifestation : combinaison à la fois de la main, du faire et même de la fête, pour que l'exposition soit l’expression publique d’un rapport manuel et subjectif à l’image photo-numérique.


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En accompagnement de l'exposition, j'aimerai évoquer des lectures qui m'ont permis de préciser mon rapport à l'image numérique dans l'ensemble de ma pratique, en particulier celles du théoricien américain William J.T. Mitchell. C'est à la suite de mes lectures de Hans Belting (et ses remarques sur l’art de la Réforme) et de Norman Jay (sur le dénigrement de la vue dans la pensée française) que je suis tombé sur Mitchell. Il a alors mis le doigt sur un impensé actuel dans le monde de l’art français : le dénigrement de l'image. Mitchell parle des images comme d'une minorité discriminée, exploitée par le commerce et méprisée ou abusée par les artistes et les intellectuels. Il utilise les leçons des cultural studies fondées sur la défense de la parole des minorités (sexuelles ou raciales) pour les transférer sur les images elles-même, considérées comme minorité censurée, manipulée et discriminée. "Il ne faut pas confondre ce que veut l’artiste-producteur de l’image avec ce que veut l’image, sachant qu’elle-même ne sait peut-être pas bien ce qu’elle veut" dit-il. Mitchell demande au spectateur de faire attention à la place qu’il lui accorde en lui-même, à la façon dont il fait résonner et donne voix à un désir qui transparait d’elle, mais sans se tromper : «Les images veulent les même droits que le langage, et NON ETRE TRANSFORMEES EN LANGAGE».

 
Voir donc! Utiliser son propre corps pour voir, pour faire face à une présence autant qu’à une représentation. Faire face à l’image: pas facile, silencieux, malaisant. Voir, c'est échanger avec elle, mais échanger quoi ? L'image est un arlequin, qui joue avec nous sur plusieurs plans à la fois (formes, couleurs, désir, langage, durée); elle est traversée de multiples paroles. Elle aussi est un corps fait d'une matérialité plurielle: elle est pixels, pigments, papier, encadrement, elle a un poids et une taille, solide ou fragile, des couleurs et des matériaux. Elle est un corps animé, instable et en demande d'une part en nous.


"Les images sont marquées par tous les stigmates de la personnalité et de l'animation : elles exposent à la fois des corps physiques et virtuels; elles nous parlent, parfois littéralement, parfois de manière figurée; ou bien elles se retournent vers nous en silence par delà l’abîme qui les sépare du langage. Elles ne présentent pas qu'une surface, mais aussi une face à laquelle se confronte le regardeur. […] C'est aussi la raison pour laquelle je déplace la question de ce que font les images vers ce qu'elles veulent, du pouvoir au désir, du modèle du pouvoir dominant auquel il faut s'opposer vers le modèle du subalterne qu'il faut interroger ou (mieux) inviter à prendre parole. [...] Ce que veulent les images ne correspond pas au message qu'elles communiquent ou à l'effet qu'elles produisent - et ce n'est pas non plus identique à ce qu'elles disent vouloir. Comme les personnes, les images peuvent ne pas savoir ce qu'elles veulent; elles doivent être aidées pour s'en souvenir, par le biais d'un dialogue." Je rajoute : un dialogue à trois !


Dialoguer: la plier, la tordre, la déplacer, la trouer, la rouler, la coller, la regarder. Explorer amoureusement son corps pour la mettre en relation avec ce qui l'entoure, l’espace réel, son échelle, le relief des murs, la texture et couleur du sol. Voilà le troisième terme. Il n'y a pas seulement elle et moi mais l'espace commun où nous nous rencontrons. Et un quatrième terme, aussi mouvant et capricieux, le spectateur, qui prolonge et ajoute sa part à cet échange. Echange de nos places oui, de parties de nos corps sans doute. Alors, nous pourrons enfin observer les formes que DONNE la relation entre l’algorithme du Jpeg et les matériaux qu'elle représente, comme la fibre végétale, la roche, le plastique, le textile ou le corps humain, entre autres.


Maxime Thieffine, mai 2012
 
 


Toutes les citations sont de William J.T. Mitchell. Pour une introduction à ces questions, je recommande Penser l'image (2010), ouvrage collectif dirigé par Emmanuel Alloa aux Presses du Réel où sont traduits Mitchell et Belting.