mardi 9 juillet 2013

Eliot Porter


Tree and Alcove, Davis Gulch, Escalante River, Utah, 1964


Hard Inclusions in Sandstone, Gray's Arch Trail, Red River Gorge, Kentucky, April 18, 1968


Eliot Porter, frère du peintre Fairfield Porter (dont il faudra que je parle d’ailleurs), est un photographe trop peu connu en France, né en 1901, mort en 1990 et actif  à partir des années 30. Cette découverte récente est bouleversante, son usage de la couleur, ses cadrages et sa vision qui sait voir les structures du vivant (d’un paysage ou d’un enfant) à travers un cadre est une leçon et une révolution qui pour moi le place très haut dans mon panthéon personnel, au côté de Matisse et Klee.


Foxtail Grass, Lake City, Colorado, 1957


Sculptured Rock, near House Rock Rapids, Marble Canyon, Arizona, June 13, 1967




Stephen Porter with Bull Snake, Tesuque, New Mexico, 1948

Photographier en couleurs dès 1939 alors que la photo noir et blanc lutte encore pour s’imposer comme art (ce qu'elle fait en étant justement noble par le noir et blanc), pratiquant le documentaire et le paysage (associé donc au pictural, donc anti moderne car non urbain-constructiviste ni trash-bizarre, et anti medium-specific donc), avec une diffusion plus large que les cercles de l’art et des musées : voilà qui suffit à vous faire oublier de la grande, sérieuse et officielle Histoire de l’art moderne, alors qu’il s‘agit ici et maintenant d’ouvrir ses yeux et d’être sidéré par la puissance formelle de son travail.
De formation scientifique, il pratique ensuite la photographie de façon professionnelle, soutenu et exposé par son ami Stieglitz (on verra d'ailleurs ici un lien formellement évident avec Madame Stieglitz : Georgia O’Keeffe, qui partage une même connaissance et inspiration des paysages du Nouveau Mexique). Si ce qui frappe dans son travail, c’est bien sur le détail et la haute délectation des couleurs, elle est produite par son usage d’une technique de Eastman Kodak qu’il utilisera toute sa vie depuis les années 40.

Small Stream Erosions, Coyote Canyon, Utah 1971




 Pool in a Brook, Near Whiteface, New Hampshire, 1953


Jonathan Porter, 1938


 Ice Cave, Scott base, Ross Island, Antartica, December 7, 1975


Il est célèbre aux USA pour ses albums et series à succès sur des régions et paysages spécifiques des Etats Unis (Colorado, Utah, nouvelle Angleterre) mais aussi les paysages de l’Antartique, en Egypte, au Mexique, en Chine. Son coté « culture et découverte », photos pour albums de France Loisirs le déclasse aux yeux du monde de l’art, mais la photographie plasticienne en couleurs hyper détaillée de Andreas Gursky ou tout autrement de Sharon Lockhart, Lynne Cohen, Jean-Luc Moulène, Wolfgang Tillmans nous permettent désormais de le regarder hors du contexte de sa diffusion initiale et de VOIR simplement les images ainsi que son travail formel immense. C’est pour moi LE choc esthétique de l’année, venu à ma connaissance par l’accrochage que lui a consacré Trisha Donnelly au MOMA dans la série des Artists Choices : un vrai acte politique et esthétique et militant dans ce contexte d’histoire de l’art institutionnalisée. Elle présente Porter et d’autres artistes, designers ou non-artistes d’ailleurs, dans les galeries de peintures et sculptures du musée  de novembre 2012 à juillet 2013.


Escalante River, 1980



Eroded Rock, New Mexico, 1953 (tirage 1963)


Glen Canyon, Colorado, 1961


Voici donc une photographie d’après la peinture moderne et abstraite, dans l'oeil de celui qui réalise ces clichés. Sa dimension décorative est évidente et assumée, ici on s'émerveille des formes du monde et du vivant, comme depuis la Renaissance mais on n'y ignore pas une certaine cruauté très Bataillienne face à la beauté féroce et indifférente des animaux et des roches.